Ministre d’Etat auprès du président de la République du Sénégal, le professeur Awa Marie Coll Seck, agrégée de médecine, est une spécialiste en épidémiologie. De 1996 à 2001, elle a travaillé à l’Onusida à Genève. De 2001 à 2003, puis de 2012 à 2017, elle a été une ministre de la Santé appréciée dans son pays. Entretien sur les grands dossiers de santé publique en Afrique et au Sénégal.
Quels sont pour vous les plus gros problèmes de santé publique au Sénégal ? Et plus généralement en Afrique ?
Comme je le constate dans des discussions avec des ministres africains et des ONG, les problèmes sont un peu partout les mêmes sur tout le continent. Une des questions essentielles concerne le système de santé : les infrastructures, le nombre des membres de professions de santé et leur bonne répartition régionale, l’accès aux médicaments. Ceux-ci sont chers et ne sont pas toujours à la portée de la population. Ils ne sont pas forcément distribués dans les endroits retirés.
Il faut aussi évoquer les problèmes de malnutrition liée à la sécheresse qui touche de nombreux pays africains, notamment dans la région du Sahel. Le phénomène entraîne des déficits nutritionnels, notamment chez les enfants.
Une autre priorité concerne les maladies infectieuses et les épidémies : paludisme, sida… En matière de paludisme, la mortalité a diminué de 50% ces 10 dernières années sur le continent.
Au Sénégal, on va vers son élimination dans certaines régions, notamment dans le Nord, grâce à des mesures précises : distribution de moustiquaires, assainissement, prévention chez les enfants et les femmes enceintes…
Il en va de même pour le sida. Au Sénégal, le taux de prévalence du sida (nombre de cas, NDLR) est aujourd’hui de 0,7%, contre 1% il y a 10 ans. Il est même de 0,1% dans certaines régions.
Comment ce résultat a-t-il été obtenu ?
Il fallait intervenir rapidement et agir sur la prévention. Nous avons ainsi créé un Conseil national de lutte contre le sida du Sénégal (CNLS) avant même que les premiers cas soient diagnostiqués. Il y a eu d’autres mesures comme la distribution de préservatifs.
En Afrique australe, où le nombre de cas est beaucoup plus important (le taux de prévalence y était à une époque de 25%), la situation s’est également améliorée. En Afrique du Sud (qui compte le plus grand nombre au monde de personnes vivant avec le VIH, NDLR), la prévalence est tombée à 10-15%.
Mais à côté de ces maladies, il ne faut pas oublier les épidémies comme Ebola, la fièvre de Marburg, la dengue…
Justement, «face au virus Ebola, deux pays africains se sont distingués par leur efficacité : le Sénégal et le Nigeria», rapporte la revue française «Sciences Humaines». Quelle a été l’action de votre pays en la matière?
Nous avons eu un cas. Quand la personne malade a été diagnostiquée, elle a été tout de suite prise en charge. Mais avant, nous avions travaillé depuis plusieurs mois en amont sur la prévention et la préparation des moyens pour combattre le virus en observant ce qui se passait dans les pays touchés. Il y a eu un gros travail multisectoriel pour rendre la population vigilante. Le président de la République a lui-même donné l’exemple en se montrant en train de se laver les mains. En même temps, si nous souhaitions que les gens soient conscients, nous ne voulions pas que cela entraîne de discriminations. Il ne fallait pas que le Sénégal se referme sur lui-même.
Qu’en est-il pour les maladies non transmissibles ?
Si les maladies infectieuses ont tendance à diminuer, on constate l’existence de pathologies comme le diabète et le cancer. Au Sénégal, 5% de la population souffre ainsi du diabète en raison des problèmes de sédentarité et d’alimentation, phénomène notamment lié à un excès de féculents. Mais là encore, nous travaillons sur la prévention et l’éducation. Et aujourd’hui, je me réjouis de voir de plus en plus de personnes faire du sport sur la corniche à Dakar.
Il y a encore un autre problème sur lequel je voudrais revenir. En l’occurrence celui de l’assurance maladie…
… instituée en 2013…
A cette époque, 20% de la population sénégalaise (15,7 millions d’habitants) avait une telle assurance, notamment les fonctionnaires. Mais les agriculteurs (70% de la population active, NDLR), les pêcheurs, les professions informelles n’étaient pas couverts.
Actuellement, quand un particulier adhère à une mutuelle de santé communautaire, il finance la moitié de la cotisation, soit 3500 francs CFA (5,34 euros), et l’Etat l’autre moitié. Résultat : aujourd’hui, 50 % de la population est couverte. La gratuité des soins a été instituée pour les petits de 0 à 5 ans. Et de nombreux soins sont gratuits : les césariennes, la vaccination pour les enfants.
Aujourd’hui, nous devons trouver d’autres sources de financement alors que près de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Malgré une croissance économique qui atteint 7%, l’assurance maladie pèse sur les finances de l’Etat, obligé de la subventionner. Cela devient un problème important. Conséquence : le secteur privé doit lui aussi s’impliquer.
Malgré ces difficultés, le Sénégal est donc dans une situation plutôt favorable ?
Il y a eu beaucoup d’avancées en matière de santé publique. La mortalité infantile a ainsi baissé de 50 % en 10 ans grâce à la vaccination, à la lutte contre le paludisme…
Mais il faut agir sur la mortalité maternelle qui reste encore élevée par rapport aux pays du Nord. Elle est aujourd’hui de 312 pour 100.000, contre 1000 pour 100.000 dans d’autres régions d’Afrique.
Il y a donc encore du travail à faire pour améliorer les choses. Les problèmes de santé du continent ne sont pas insurmontables. Mais il faut les prendre à bras le corps. Cela demande des financements que nous devons trouver au niveau local : c’est à nous, au Sénégal, de trouver des solutions pour aboutir à des solutions pérennes.
Awa Marie Coll Seck sera, avec François Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine, la co-présidente du programme scientifique du premier forum Galien Afrique, qui aura lieu à Dakar les 27 et 28 novembre 2018.
Par Laurent R Dumas
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